En ce début septembre, ce n’est pas le chatoiement des couleurs rougeoyantes et ocres de la végétation qui marque notre esprit ; mais bien un embrasement plus culturel : celui du musée de Rio de Janeiro. En quelques heures à peine, 200 ans d’histoire et pas moins de 20 millions de pièces d’époques variées se sont tout simplement évaporés, sans retour en arrière possible.

Musée à la mémoire d’éléphant

Créé en 1818, le musée était l’un des plus anciens et des plus prestigieux du Brésil. Certaines de ses pièces avaient survécu à l’éruption du Vésuve ou au pillage des pyramides. Toutes avaient, en tout cas jusque-là, résisté aux affres du temps qui passe. Des milliers, ou des centaines d’années se sont écoulées, sans quasiment d’emprise, sur ses objets précieusement conservés. Parmi eux, Luzia le fossile humain de 12 000 ans (le plus ancien des Amériques). Cette première Brésilienne découverte ne sera plus qu’un lointain souvenir.
Une étincelle, aura suffi à anéantir ce sanctuaire qui leur servait de protection. Une protection dérisoire, en manque de moyens et dont les bornes à incendies les plus proches étaient tristement vides, obligeant les pompiers à pomper l’eau dans un lac à proximité.

@Carl De Souza -AFP

Une situation reflet d’un Alzheimer culturel…

Que sait-on réellement de la culture brésilienne ? Les touristes vous parleront uniquement de ses plages… de ses strings… Mais derrière une frivolité d’apparence, vous pourriez bien découvrir de petits bijoux d’architecture comme quelques églises ornées d’azulejos ou bien vous fasciner pour l’histoire impériale de ce continent.
Pour Maxime Rovere (enseignant en philosophie à Rio), cet incendie dramatique reflète l’abandon culturel et éducatif qui frappe ce pays depuis plus de dix ans.
L’art doit avoir une place importante dans la vie de chacun. Et l’accès au patrimoine est un droit pour tout citoyen. Mais dans une logique cartésienne d’investissement et de profit, les musées sont des outils peu rentables. La culture produit de l’immatériel alors qu’elle coûte cher.
Certes, les politiques et autres dirigeants ne s’attaquent pas à la culture de front comme l’ont fait les talibans avec les sculptures rupestres, mais leur sape est beaucoup plus insidieuse. L’abandon économique réduit la culture à se consumer d’elle-même.

Une seule victime : l’humanité

Un sinistre qui aurait pu être évité, si les moyens nécessaires avaient été alloués à la protection de ce passé sur lequel les peuples actuels se sont forgés. Anciennement, résidence officielle de la famille royale et impériale, le bâtiment était loin d’avoir été adapté aux exigences d’un musée… Beaucoup de matières inflammables étaient présentes, ce qui n’a pas manqué d’alimenter le brasier déclenché.
En 2015, ce musée avait même dû fermer ses portes faute de pouvoir payer son personnel. En 2018, son budget a été amputé de 85 % ! Et l’université fédérale, dont il dépend, n’avait pu remettre que 60 % de sa contribution annuelle…
L’Europe pleure devant les images du musée en flammes, dans sa grande tradition de protecteur des objets du passé. La population du Brésil préfère, elle, penser futur que passé, oubliant de façon ancestrale les tragédies fondatrices de son peuple (esclavagisme, colonisation…). Il s’agit maintenant de restaurer les interactions possibles entre nature et culture, de reconstruire ce qui n’est plus.

Devoir de mémoire… d’étudiants

Quand on est étudiant brésilien en muséologie de l’UNIRIO (Université Fédérale de l’État de Rio de Janeiro), voir un musée brûler, c’est perdre une partie de son être, de ce à quoi l’on se destine. C’est se sentir dépossédé d’une part de son patrimoine qu’on cherche à préserver coûte que coûte. C’est perdre quelque peu la tête et la mémoire de ce qu’on avait essayé de préserver pour illustrer l’évolution.
Les réseaux sociaux, nouvelles bouteilles à la mer numériques, ont relayé le désarroi de ces hommes et femmes qui ont exhorté tout un chacun à partager un morceau de leur souvenir de cet édifice et de son contenu.
Le résultat : plus de 7 000 photos d’œuvres.

De mémoire centrale à mémoire externe

L’onde du souvenir se propage petit à petit, faisant émerger une ressource disparate, mais non négligeable. En bon organisateur de contenu, un laboratoire péruvien spécialisé dans les initiatives innovantes en muséologie (Muséofilia), s’est fait écho de l’appel et propose ses services.
L’idée ? Réussir à documenter numériquement les 20 millions de pièces qui aujourd’hui physiquement n’existent plus.
Wikipedia, encyclopédie collaborative, s’est aussi emparée du sujet. Elle vient de proposer d’utiliser sa base de données pour accueillir toutes les reliques virtuelles de ces pièces disparues.

De sanctuaire culturel à zone de fouille

Plus d’une semaine après l’incendie, le palais va maintenant voir débarquer une foule de petites mains pour une fouille qui s’annonce lente et minutieuse. À la recherche de traces à préserver, chaque grain, chaque détail sera scruté pour déterminer ce qui peut être encore conservé. Sous l’œil aiguisé des pompiers et des experts, les pièces faciles d’accès seront récupérées. Pour les autres, il faudra attendre que le personnel soit formé pour être autorisé à réaliser un travail archéologique de récupération de pièces. À la façon des archéologues, couche par couche, ils tenteront de sauver la moindre bribe qui peut encore l’être. Mais après que 3 étages se soient écroulés sur eux-mêmes, il faudra s’armer de patience.

Les musées sont des institutions parfois un brin conservatrices, où les photos et autres souvenirs numériques sont parfois proscrits. Aujourd’hui pourtant, c’est bien la mémoire externe constituée par ces milliers d’images volées des collections de ce musée partie en cendre, qui risque de sauver sa mémoire.
Alors, participez, participons : n’hésitez pas à leur faire parvenir vos traces de ce musée (photos, vidéos, et même les selfies) par email :

  • thg.museo@gmail.com
  • lusantosmuseo@gmail.com
  • isabeladfrreitas@gmail.com

Et prenons des mesures pour protéger toutes ces pépites, berceau de notre humanité.

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