Les fake news ne sont rien d’autre que la version moderne des rumeurs d’hier. Des individus les lancent, les enrichissent, les développent, se gargarisant de leur amplification jusqu’à la remise en cause de la vérité. Au final, cet upgrade de la rumeur ne fait qu’utiliser les outils récents pour se répandre de plus belle.

Comment lutter ?

Les algorithmes, et autres sites développés pour vérifier l’information sont à la traîne. Pas assez nombreux, pas assez efficaces et pas assez connus du grand public pour être utiles, d’autres solutions doivent être envisagées.
Si l’on ne peut pas vérifier chaque information publiée, comment faire ?

Vous avez dit « fake news = virus »?

Les fake news sont dites « virales ». Tel un virus elles se répandent rapidement dans tout leur environnement. Cette expression a inspiré les chercheurs de l’Université de Cambridge. Peut-on protéger de la désinformation par un « vaccin » ? Drôle de métaphore, mais grâce à cette image, la théorie de l’inoculation psychologique est née.
Son but ? Exposer les gens à de petites doses de fausses informations et ensuite démontrer leurs faussetés. Cela permet de réduire l’influence des fake news rencontrées par la suite.

Pour leur étude, ils ont choisi un sujet brûlant aux États-Unis : les changements climatiques. 2000 Américains ont dû estimer (en %) l’ampleur du consensus scientifique sur l’idée que l’être humain est responsable du réchauffement climatique.
Premier constat : si l’on donne aux gens deux informations contradictoires simultanément (l’une vraie et l’autre fausse) : elles s’annulent.
Deuxième constat : si en revanche, avant de donner les informations, on « vaccine psychologiquement » un groupe en l’avertissant que « certains groupes politiques utilisent des tactiques douteuses pour convaincre le public qu’il y a un désaccord parmi les scientifiques », les personnes ont un regard plus critique et les faits scientifiques sont plus considérés.
Cette technique a ses limites et ne fonctionne pas sur tous, mais elle peut permettre aux plus indécis de changer d’avis en sachant ce qui se passe.

Mais aujourd’hui, les fake news paraissent de plus en plus crédibles en s’appuyant sur des faits scientifiques détournés, ce qui limite le pouvoir d’un vaccin psychologique.

Changement de posture : Créons des fake news

Si le fait d’informer le public sur l’existence de moyens de manipulation de l’information ne suffit pas, que peut-on faire ? Prenons le problème à l’envers : apprenons-lui à créer des fake news pour mieux savoir les débusquer.
Les mêmes chercheurs de Cambridge, avec l’aide d’un collectif de journalistes néerlandais (le DROG), ont créé un jeu où il est question de se mettre dans la peau d’un créateur de fake news. En étudiant le mode opératoire de professionnels de cette pratique sur internet, ils ont remarqué que toutes les campagnes de désinformation suivent les mêmes étapes pour distiller leur message.

Vous avez du temps et l’envie ? C’est facile de désinformer !

Initialement, l’expérience a été menée sur papier avec les lycéens aux Pays-Bas. Les adolescents qui se sont ainsi familiarisés avec les techniques de désinformation accordent moins de crédibilité aux fausses par la suite.

Maintenant une version en ligne

Bienvenue dans Bad News.
Votre but : créer un média en ligne fictif et faire exploser votre compteur de followers virtuels de Twitter en maintenant votre crédibilité aux yeux de l’audience.
Vos moyens : déformer la vérité, diviser les partisans de Twitter, détourner l’attention lorsqu’ils se rebellent, trafiquer ou détourner des photos, se faire passer pour un autre, acheter des followers

À ce moment-là, vous avez encore un peu de morale et d’éthique (mais pas pour longtemps). Vous êtes vite rattrapé par votre rêve : devenir une star du web et gagner de l’argent avec des clics. Comment vous y prendre ? Votre coach virtuel est là pour vous aider dans la manipulation des masses grâce à ses conseils.

Au menu, 6 étapes vous permettront de collectionner 6 badges :
1) IMITATION
2) ÉMOTION
3) POLARISATION
4) CONSPIRATION
5) DISCREDIT
6) TROLLING

 
 
 
 

1) IMITATION : écrire ses premiers mots. Quelque chose vous frustre ? Vous le tweetez. Vous obtenez vos premiers disciples et comprenez le principe des followers et de la crédibilité.
Vous allez ensuite incarner soit un compte officiel de personnalité : Donald Trump (en déclarant la guerre à la Corée du nord), soit une institution : l’US Geological Survey Earthquakes Alerts (en annonçant un séisme de magnitude 9,3 près de Londres) ou la chaîne Nickelodeon (qui annonce l’annulation imminente de Bob l’éponge).
Vous recevez des tweet en réaction des utilisateurs tombés sur votre déclaration.

 

2) ÉMOTION : faire adhérer vos followers en jouant sur la corde sensible. Vous passez à l’étape suivante en créant votre propre site d’actualité. Choix du nom, du titre, du slogan.
Vous voilà maître de l’émotion. Jouez sur la peur, la colère ou l’empathie dans vos publications pour susciter la réaction auprès du public.

 
 

3) POLARISATION Cliver l’opinion en deux permet de gagner des adeptes en simplifiant le choix : eux ou nous ! Vous allez aussi découvrir ici qu’il n’est pas nécessairement systématique de créer des histoires, vous pouvez amplifier des griefs existants en les mettant en avant. Vous les rendez ainsi plus importants et plus populaires qu’en réalité.

 
 
 

4) CONSPIRATION. Les théories du complot tentent de prouver que certains évènements sont orchestrés par un groupe ou une organisation secrète. Vous devez donc trouver une nouvelle théorie et la publier. Cherchez la conspiration la plus crédible (au risque de perdre sinon quelques points).
Si vous arrivez à semer le doute, ou carrément à convaincre, vous explosez vos compteurs.

 
 
 

5) DISCREDIT de vos adversaires. C’est souvent une partie importante dans la propagation des fake news. Les sites détournent l’attention de l’accusation en attaquant la source de la critique ou en niant carrément les problèmes existants.
Vous êtes par ailleurs soumis au fact-checker (vérificateur de fait) qui démystifie la théorie du complot évoqué. Vous avez alors plusieurs possibilités : vous excusez, ne rien faire ou vous venger.
La première réponse vous coûtera des points (moralité ne jamais s’excuser quand on fait des fake news), la seconde impliquera que vous serez interrogés pour savoir pourquoi vous ne réagissez pas. Il ne vous reste donc plus qu’à réfuter en attaquant !

 
 
 

6) TROLLING
À vous de jouer les trolls (intervenant qui initie volontairement des polémiques) et d’appliquer toutes les techniques précédentes.

 
 
 

Finalité …

Environ 20 minutes plus tard, vous aurez fait le tour de la question et aurez décroché vos 6 badges. Vos choix ont fait sans cesse évoluer votre jauge de crédibilité et le nombre de followers. Il faut donc être suffisamment crédible pour pouvoir raconter des balivernes réalistes pour que l’audience gobe tout sinon vous perdrez votre audience.
Afin d’améliorer le jeu, les chercheurs collectent les données d’utilisations. Vos réponses et vos scores (si vous avez donné votre accord) seront disséqués.

Au travers des différents niveaux, vous avez pris conscience des notions de sources, de crédibilité et d’influence. La logique veut que ce n’est pas parce qu’un leader d’opinion a une large audience que ses propos sont plus vrais qu’un autre.
Votre coach vous interpelle aussi régulièrement sur ce que vous ressentez : satisfait de votre action, honte, émotion… dans le but de vous rappeler que pour être un maître de la désinformation il ne faut pas douter.

À la fin, une synthèse de ce qu’est une « bonne » manière de désinformer vous est proposée. De quoi fixer les grands principes que vous devrez repérer par la suite dans la vie de tous les jours.

Finalement, "Si vous vous mettez à la place d'une personne qui essaie de vous tromper, cela devrait accroître votre capacité à repérer et à résister à ses techniques", comme l’explique Sander van del Linden, directeur du laboratoire de recherche à l'Université de Cambridge qui travaille sur la "théorie de l'inoculation".

… ou Moralité ?

Un jeu pour sensibiliser aux techniques de désinformation est un premier pas vers la recherche de la vérité. À lui seul, il ne peut pas tout démystifier, mais associé aux autres idées il peut jouer un rôle. Son format court permet même d’envisager une utilisation en classe, où l’on peut faire jouer les élèves en binôme pour un meilleur retour d’expérience. Normalement, le jeu devrait aussi être traduit prochainement en plus de langues (aujourd’hui seulement néerlandais et anglais disponibles).
Les chercheurs envisagent aussi de créer une version spécifique pour lutter contre la radicalisation en ligne, car cette dernière s’appuie sur des techniques de manipulation identiques à celles des fake news.

Alors, n’hésitez pas, partagez, faites votre jeu, comparez et vaccinez-vous psychologiquement !

 
 

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