Alors que nous nous rapprochons du printemps, nous nous prenons à rêver des mille et une couleurs qui vont progressivement réchauffer notre paysage encore hivernal. Les petits bourgeons naissent, et nous imaginons déjà les fleurs : leurs arômes, leurs couleurs.
Et parmi toutes ces teintes, l’une nous parait éclatante et majestueuse : le rouge. Mais nos amies butineuses, si importantes pour la pollinisation (fécondation des fleurs) voient-elles ce même écarlate ? Car après tout, les fleurs ne se parent pas de mille et un atours et parfums pour nous séduire nous humain, mais bien pour attirer les organismes pollinisateurs qui assurent leur survie.

Voir la vie en couleurs

Du haut de notre suprématie d’humain, nous pensions jusqu’en 1920 que seuls les animaux les plus proches de nous voyaient comme nous : en couleur. Alors vous pensez les abeilles… Karl Von Frisch, zoologiste autrichien, se mit en tête d’explorer le monde inconnu des abeilles et notamment de leur vision.
Ses expériences sont toutes simples et d’une grande clarté. Amoureux des grands espaces, il travaille en plein air, à la campagne. La science n’est pas toujours une histoire de laboratoire et de produits chimiques. Parfois, l’observation et quelques ingrédients de base suffisent à faire des découvertes étonnantes.

 

Fil rouge : du miel et des cartons de couleurs

Expérience 1
 

Le matériel est sommaire : 3 carrés de papier de taille identique, un rouge et deux bleus.
On dépose sur un des deux papiers bleus quelques gouttes de miel. On le place sur la table. On laisse les abeilles le loisir de venir butiner gaiement leur pêcher mignon. Elles s’en nourrissent, repartent à leur ruche et reviennent plus nombreuses. C’est la phase d’habituation. Un peu comme les étudiants tous les matins qui reviennent sans cesse vers la meilleure machine à café du campus pour en siroter le breuvage tant espéré.

 

Remplaçons maintenant notre papier adoré des butineuses par les deux autres : le bleu et le rouge sans une once de miel. Et regardons ce qui se passe…
Les abeilles ne daigneront même pas jeter un coup d’oeil ni un coup d’antenne à notre papier écarlate. Seul le bleu les intéressera. Elles se poseront dessus, tourneront autour, malgré l’absence de miel.
Première conclusion : les abeilles distinguent donc le bleu du rouge.

 
Expérience 2

C’est un bon début, mais ce n’est pas encore suffisant pour voir la vie en couleur. Nos abeilles peuvent très bien repérer les couleurs suivant des nuances de gris. Dans la population humaine, il existe des personnes dites achromatopsiques qui, suite à un accident cérébral, ne perçoivent plus les couleurs, mais des dégradés de gris. Pour ce type de personne le bleu, correspond à un gris pâle et le rouge à un gris foncé tirant sur le noir.

 

Von Frisch répète donc son expérience légèrement modifiée : il habitue les abeilles à la présence de miel sur le papier bleu.

 
 

Puis il l’enlève et met à la place un papier bleu sans miel et toute une palette de papiers de nuances de gris.
Il observe attentivement le comportement des abeilles. Et oh surprise, les abeilles n’iront jamais sur un autre carton que le bleu.

 
 
Expérience 3

Très bien, nos petites abeilles voient donc le bleu. Mais est-ce pareil pour le rouge ? Après tout, bon nombre de fleurs sont tout aussi rouge tomate que bleu !

 
 

Même processus, Von Frisch habitue les abeilles à la présence de miel sur le carton rouge.

 
 
 

Puis il le remplace par un carton rouge sans miel et des cartons de diverses nuances de gris. Et la stupeur, les abeilles se dirigent vers le rouge … mais aussi vers le gris foncé et le noir.
Le rouge n’est pas perçu par nos petites butineuses, il ressemble à du noir.

 
 
 

La perception des couleurs n’est pas unanime

Vous avez déjà remarqué que, nous autres humains, ne voyons pas toutes les couleurs de la même façon, ce qui provoque parfois de sérieux débats de couple !
Mais pourquoi ces différences ? En réalité, la couleur perçue est due à la qualité de la lumière que renvoie l’objet observé.

Chaque couleur correspond à une longueur d’onde particulière. Alors que nos yeux nous permettent de capter des longueurs d’onde de 400 à 800 nm environ, les yeux de nos amis les abeilles ne sont pas faits pour capter les longueurs d’onde élevées comme celle du rouge. Leur spectre de vision s’arrête à 650 nm environ. En revanche, elles dépassent notre vision colorimétrique par leur perception des ultraviolets (longueur d’onde inférieure à 400nm).

Dérouler le tapis rouge

Mais alors comment les fleurs d’un rouge écarlate et presque pur attirent-elles les butineuses ? Ne devraient-elles pas avoir disparu ? En réalité, ce que nous voyons n’est pas la réalité des insectes. Pour les abeilles, bien des fleurs rouges ont une multitude de reflets ultraviolets. La perception de ces ondes très courtes fait que pour les abeilles les fleurs ont beaucoup plus de teintes différentes que ce que nous percevons.

Notre vision du monde est une des perceptions possibles de ce qui nous entoure, mais elle n’est pas forcément identique à tous les êtres vivants. Pourtant, on peut considérer aux vues de ces expériences que les abeilles voient bien en couleur.
Continuons de nous émerveiller des différences et à observer ces animaux (parfois présents sur terre depuis bien plus de temps que nous) qui ont tant à nous apprendre.


Biblio
Vie et moeurs des abeilles. Karl Von Frish - 1953
Sur les épaules de Darwin : Je t’offrirai des spectacles admirables. Jean Claude Ameisen - 2013
 

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