Si je vous dis Zep… vous répondez naturellement « Titeuf ». Et vous avez raison. Mais il existe une facette de ce dessinateur suisse moins connue : celle d’un explorateur moderne de l’âme humaine.
Après deux albums en ce sens (Une histoire d’hommes exploration du thème de l’amitié, et Un bruit étrange et beau sur la révolution intime d’un homme rentré dans les ordres), des chercheurs deviennent, dans son dernier opus intitulé sobrement The End, les protagonistes d’un thriller botanique.

Point de départ : une anecdote scientifique

Nos enfants sont surprenants et leur émerveillement pour certaines histoires encore plus. Zep n’a donc pas cherché son inspiration bien loin. Arthur, son fils ainé, est étudiant en botanique. Il lui raconte un jour l’histoire fascinante de la disparition des antilopes koudous du Transvaal (la savane d’Afrique du Sud). Depuis les années 80, plus de 2000 koudous sont morts sans aucune trace de sang ni blessure. Paradoxalement, ces animaux semblent même mourir de faim alors que la végétation environnante est plutôt généreuse.
Dans les années 1990, l’enquête est confiée au professeur Wouter Van Hoven, scientifique du Centre for Wildlife Management (Centre de gestion de la vie sauvage) de Pretoria. Tel un polar, il suit les antilopes, les autopsie, reconstitue leur parcours… et stupeur : le coupable tout désigné de cette hécatombe n’est autre que l’acacia. Péché mignon de ces antilopes, les feuilles entières sont découvertes dans l’estomac des disparues.
Chargées de tanins à dose mortelle, les feuilles sont devenues impropres à la consommation. Tel un cri d’alarme, la population d’acacia semble modifier la composition de ses feuilles pour lutter contre un prédateur devenu trop nombreux. Elles empoisonnent les antilopes pour protéger leur survie. Et fait notable, la teneur en tanin dans les feuilles augmente progressivement. Les feuilles passent de peu appétissantes à mortelles en quelque temps, et ce, sur tous les arbres à proximité. Les acacias arrivent donc à communiquer entre eux pour augmenter le poison afin de se protéger.
L’intrigue est toute trouvée : les pouvoirs insoupçonnés de communication de la nature face au danger.

Un savant mélange de vérités scientifiques et d’anticipations

Au-delà la fiction, Zep a souhaité confronter son scénario avec des scientifiques afin d’en vérifier la crédibilité. Les récentes découvertes sur les arbres et leurs modes de communication sont presque hallucinantes.

Comme il l’a expliqué : « J’ai été interpellé par cette affaire, et je me suis mis à me renseigner, puis à écrire, tout en cherchant à confronter mon scénario avec des scientifiques, afin de vérifier ce qu’ils en pensaient. En effet, nos récentes découvertes sur les arbres, leurs facultés, leur communication, leur pouvoir de communication sont totalement fascinantes ! Cela va même au-delà de notre compréhension. Au point que nous n’avons d’ailleurs pas les mots de vocabulaire pour l’expliquer, et l’on se tiendrait à des vérités réductrices par rapport à leurs réelles capacités. D’où l’intérêt de la fiction pour évoquer tout cela. »

Il rencontre notamment le botaniste spécialiste des arbres Francis Hallé. Ce dernier se retrouve même grimé sous les traits du Professeur Frawley, chef de l’équipe scientifique au coeur de l’action de The End.
Zep applique donc à sa BD une bonne recette : une bonne part d’éléments réels, une part d’éléments plausibles (non démontrés à ce jour) et une part de fiction pure.
Le récit démarre ainsi sous forme quasi documentaire sur la capacité des arbres à communiquer entre eux et leur capacité à développer des stratégies de défense collective en cas de menace extérieure. Un brin didactique, juste de quoi piquer la curiosité du lecteur.

L’histoire de ce thriller botanique

Dans le cadre d’un stage, Théodore Atem intègre une équipe de chercheurs basée en Suède qui travaille sur la communication des arbres entre eux et avec nous. Ce groupe de travail dirigé par le professeur Frawley et son assistante Moon, tente de démontrer que les arbres détiennent les secrets de la Terre à travers leur ADN, leur codex. C’est en recoupant ces génomes avec la mort mystérieuse de promeneurs en forêt espagnole, le comportement inhabituel des animaux sauvages et la présence de champignons toxiques que le professeur comprendra, hélas trop tard, que ces événements sonnent l’alerte d’un drame planétaire duquel seul Théodore et quelques survivants seront épargnés. Serait-ce une nouvelle chance pour l’espèce humaine ?

Mais alors, les arbres auraient-ils une conscience? Une forme d’intelligence capable d’actions, de choix, de réactions ? La Nature serait-elle en quelque sorte la régulatrice de la vie dans l’Univers ?
Autant d’interrogations dans un récit entre la science-fiction et les films catastrophes (écho lointain au film controversé Phénomènes de M. Night Shyamalan) qui suppute qu’un jour la Terre sifflera peut-être la fin de la partie.
Un polar environnemental sans tout de même un gros suspense étant donné le titre de l’album !

Un héros au naturel : le monde végétal

Le thème de l’apocalypse reste un des sujets majeurs fortement exploité par différents auteurs en littérature comme au cinéma. Cependant, changement de point de vue cette fois-ci : l’Homme n’est pas aux commandes.
La Nature n’a peur de rien, il n’y a qu’à voir comment elle a repris ses droits à Tchernobyl ou Fukushima alors que l’Homme lui a disparu du secteur. Les arbres sont les doyens d’une humanité dont ils gardent autant les secrets que les remèdes suivant une lente et longue évolution. Des héros tout trouvés, 350 millions d’années d’expérience de plus que nous… et des stratégies et des facultés d’adaptation que nous sommes loin d’avoir trouvées.

Des couleurs minérales : bistre, bleu ou vert lichen

Changeant radicalement de style, Zep adopte un trait plus réaliste, plus posé, plus cérébral. Fourni en détail, il utilise cependant des tons monochromes afin de ne pas perdre l’œil du lecteur. Une palette de tons tout au naturel, qui ne sont pas sans rappeler le thème de cet opus.

Une moralité ou un cri d’alerte ?

« Nous ne sommes pas les maîtres de la terre, nous en sommes ses hôtes ». Et qui plus est les derniers arrivés…
La nature semble nous tolérer, mais encore jusqu’à quand ?
Une leçon sans aucun doute politique, poétique autant qu’écologique.
En attendant, on ne peut que souligner l’existence de tels sujets dans le monde divertissant de la BD qui pourra peut-être faire ouvrir les yeux sur la Nature à un certain nombre de lecteurs. Sensibilisés aux pouvoirs de la Nature, ces derniers pourraient bien s’en inspirer pour inventer le monde de demain.

Un éveil des sens à la curiosité, sous une forme ludique et colorée, à vous de vous y plonger.


Pour aller plus loin :

* Article L’acacia, tueur en série
* Article vulgarisé La communication végétale
* Livre La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben, édition Les Arènes

 

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