Il n’existe pas UN mais DES langages. Considérons le langage écrit et le langage musical. Il y a les mots, et les notes. Mais les notes peuvent être des mots. Et les mots peuvent accompagner les notes. Tout texte, comme tout morceau de musique a un ton. Qu’il soit juste, parfait ou altéré, la similitude est troublante.
Et l’écho des termes ne s’arrête pas là… On parle, du côté littéraire, de mélodie des mots, d’harmonie des phrases, de rythmes de phrasé. En musique, on empruntera au texte l’analyse, les motifs, les textures.
Les textes et les airs de musique sont composés de façon libre ou plus calculée (en mode tube ou best-seller). Il n’en reste pas moins que, tous deux, sont régis par un certain nombre de règles qui tombent sous le sens. Et dans les deux cas, les accords sont fondamentaux !

Ces deux langages sont avant tout des modes d’expression, des vecteurs d’émotions. Il parait donc logique que leurs termes de descriptions soient aussi liés.
Alors que les textes se décortiquent et s’étudient par le poids des mots, des phrases, du langage, l’on tente aussi de faire de même pour la musique.
Et même à grande échelle… Bienvenue dans l’équipe de recherche Algomus.

Algomus : quand musique et algorithme se rencontrent

Il existe des drôles de laboratoires de recherche au croisement des disciplines. Algomus est l’un d’eux. Cette entité symbolise une collaboration étroite entre les laboratoires CRIStAL (Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille – CNRS UMR 9189) et le MIS (Modélisation, Information & Systèmes de l’Université de Picardie Jules Verne, Amiens).

Leur idée ? Mener des recherches en analyse musicale computationnelle, autrement dit de créer des méthodes numériques d’analyse de partitions. Un doux mélange d’expertise entre musicologie et méthode algorithmique du texte (car après tout la musique est un langage comme le texte). Le tout pour permettre une fouille de données et l’apprentissage d’une Intelligence Artificielle pour l’étude des notes. Vous suivez ?

Analyser la musique : pourquoi ?

Oui, c’est vrai ça pourquoi ? Après tout, il suffit de l’entendre pour ressentir des choses, pourquoi vouloir la décortiquer ? L’humain adore détailler, catégoriser, disséquer (vous ne vous en étiez pas rendu compte encore ?). Et bien, en musique c’est pareil. Cette tradition au commencement orale, sans support physique, permettait de transmettre, de raconter des histoires, de divertir et d’interpréter. Puis, sa formalisation est apparue (la datation est incertaine). Les civilisations, après avoir inventé le langage écrit, ont aussi voulu développer une forme de langage musical. On le connaît aujourd’hui sous son modèle de notation musicale sur les partitions.
Chaque son devient une note à laquelle on attribue une hauteur et une durée. Les symboles se développent ensuite pour guider dans les intentions et les interprétations à faire. Ils complètent les notes pour les rendre plus expressives, comme une description de contexte dans un paragraphe nous donne une meilleure compréhension des propos.
Les mélodies deviennent plus complexes, la magie des harmonies et des structures se matérialisent.
La partition devient le moyen par excellence de transmission, d’échange et de préservation de ce patrimoine musical. Son analyse est donc tout aussi importante pour comprendre et enseigner cet art. Elle permet notamment aux musiciens de renouveler leur écoute et de travailler leur interprétation de l’oeuvre.

Analyser la musique, c’est quoi ?

Vos souvenirs d’analyses en français remontent à la surface. Eh oui, analyser la musique, c’est aussi détailler, expliquer, comparer, comprendre. Et sans le savoir, vous analysez tout ce que vous entendez. Votre cerveau peut ainsi vous donner des informations aussi basiques que la hauteur d’un morceau, son rythme plus ou moins lent ou rapide, sa forme avec son alternance de couplet-refrain. Ou bien vous ferez une analogie et vous penserez à un autre morceau dans une forme d’analyse comparative inconsciente. Vous pouvez aussi simplement attribuer une époque, reconnaître le style d’un artiste, ou un courant musical. L’analyse, c’est tout ça, et vous le faites tout le temps !
Bon, bien sûr, les théoriciens, eux, vont étudier des aspects plus définis : la tonalité du morceau et son harmonie (suite d’accords), ses mélodies et ses thèmes, ses rythmes et sa métrique (nombre de temps par mesure), sa dynamique, son instrumentation, sa texture, etc. Mais alors…

Analyser la musique avec un ordinateur : pourquoi ?

Si cette pratique d’analyse est déjà bien représentée chez les théoriciens et les musiciens que peut apporter le numérique ?
Premièrement, la musique est une science (si, si). Elle a toujours eu des liens très développés, notamment en physique, avec la notion de fréquence des notes par exemple. Elle peut donc être un sujet d’études et de recherches à la croisée des champs disciplinaires (physique, informatique, sciences humaines et sociales, etc.).
Par ailleurs, à l’heure de l’hégémonie des playlists d’humeur, l’intelligence artificielle a toute sa place pour guider leur composition. Vous croyiez que derrière ces files interminables de tubes collant à votre état d’esprit se cachait un million de petites oreilles classant les morceaux ? Désolé de vous décevoir….

Le défi de ce processus est en réalité double :
1) produire des résultats musicologiques de manière automatisée ou semi-automatisée (gain de temps ou de résolution)
2) formaliser le processus analytique tout en développant des modélisations et des algorithmes fiables
Un intérêt de cette recherche autant sur les résultats qu’elle produit que sur les aspects méthodologiques développés.

Grammaire et analyse musicale

L’équipe d’Algumus doit en premier lieu développer la sémantique des données musicales afin de formaliser son étude. Ils doivent créer ce qu’on appelle des descripteurs, des arbres, et des grammaires.
Cette focalisation sur des points précis permettra, à l’arrivée, de développer une plateforme logicielle comme prototype d’analyse musicale. Cette dernière accordera aux utilisateurs d’expérimenter les différentes techniques d’analyse, de les tester, de les partager et de les confronter.
L’éditeur d’analyse associé permettra la visualisation de la partition annotée. Dans l’idéal une partie collaborative sera ajoutée afin que chaque participant puisse confronter, ou comparer, ses propres annotations avec les modèles connus qu’ils soient manuels ou automatiques.

Évaluation & Coda

Qui de l’homme ou de l’ordinateur a raison ? Difficile d’estimer la qualité d’un algorithme d’analyse musicale. L’une des pistes reste de comparer son travail avec une analyse de référence. Le seul souci, c’est qu’il n’existe pas une, mais plusieurs analyses de références, et ce, en fonction de l’approche musicologique choisie.
Tout comme les étudiants en analyse musicologique sont évalués sur les points formels et techniques autant que sur leur commentaire esthétique, il doit en être de même pour les algorithmes. Ce qui complique un peu la donne.

L’analyse musicale par ordinateur a de beaux jours devant elle. Elle nécessite cependant des collaborations et à terme des chercheurs mieux formés dans les deux domaines afin d’optimiser leur compréhension.
Mais après tout pourquoi pas, on dit que beaucoup de scientifiques sont aussi des musiciens. Alors, pourquoi ne pas allier les deux dans leur domaine de recherche ?


Pour aller plus loin :

* Compter les globules blancs, analyser les partitions de Mathieu Giraud (aucun lien entre les deux domaines qui sont ses sujets d’étude sur les dernières années)
* Compte twitter @Algomus / Chaîne Youtube : Algomus
* Dispositif pédagogique interactif développé par Algomus (Article) : Les pierres musicales.  Un bel outil de médiation.

 

 

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