Les sciences participatives (ou sciences citoyennes ou sciences collaboratives) sont, selon François Houillier (cf. rubrique Pour aller plus loin), « des formes de productions de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels participent de façon active et délibérée ».
Elles sont de plus en plus utilisées par les scientifiques pour faire évoluer plus rapidement leurs projets ou réduire un problème d’expérimentation. On peut citer les actions du Muséum national d’histoire naturelle qui depuis 20 ans proposent aux citoyens de contribuer à l’amélioration des connaissances sur la biodiversité.
Début mai 2018, la revue Nature a publié les résultats de l’une d’entre elles. Cette recherche s’est déroulée dans un domaine où l’on attend peu les sciences participatives : la physique théorique ! Dans ce projet monté par une équipe internationale, grâce à un jeu vidéo (Big Bell Test), 100 000 personnes ont joué pour aider les scientifiques à enlever un biais de leur expérience. Résultat : Einstein avait tort ! Et ça, ça n’aurait pas été possible si 100 000 individus ne s’étaient pas mobilisés pour aider les chercheurs.
Domaine d’étude : la Physique quantique
Il y avait la physique classique, qui jusque-là décrivait de façon intuitive le comportement des choses. Rappelez-vous vos cours de physique du lycée, connaissant la position et la vitesse d’un objet, vous pouviez décrire ses propriétés et l’évolution du système. Ainsi, lorsque deux objets sont distants, ils ne peuvent avoir que des corrélations limitées : les évènements qui arrivent à l’un ne peuvent pas être corrélés à l’autre. Ce principe traduisait une notion de localité et de réalisme : le réalisme local d’Einstein.
Et puis est apparue la physique quantique (sueurs froides pour les physiciens), celle qui tente de décrire les comportements des atomes, des photons et autres minuscules particules qui nous entourent. Et là vous seriez bien embêté de vous projeter sur le comportement d’un élément (à la fois onde et particule) que vous ne pouvez même pas voir.
Ainsi, la physique quantique est là pour produire des méthodes d’optique (d’observations) qui permettent de façon expérimentale de tester les propriétés de ces infimes choses dont on ne connaît même pas l’état initial.
Et chose étrange, lorsque deux particules quantiques sont intriquées (liées l’une à l’autre), leur comportement est corrélé (l’état quantique de l’une est valable pour l’autre), quelle que soit la distance qui les sépare. Argggg… le réalisme local vole en éclats.
Einstein et d’autres physiciens plutôt conservateurs de l’époque avaient alors émis l’hypothèse qu’il devait exister des paramètres physiques inconnus modifiant le comportement attendu.
Les inégalités de Bell
Pour Einstein donc, selon sa théorie de la relativité restreinte, « La vitesse de la lumière dans le vide est la même dans tous les référentiels inertiels » (référentiel inertiel = un espace dans lequel un objet isolé se déplace à vitesse constante en ligne droite). La vitesse de la lumière est donc une limite absolument impossible à dépasser.
En 1960, le physicien John Bell apporte l’une des plus grandes contributions du domaine : les inégalités de Bell. L’idée est que si la vitesse de la lumière est la limite indépassable, alors deux particules intriquées (qui ont eu une interaction) agissent comme un seul système. Même séparées d’une grande distance, elles continuent à interagir entre elles. Tout se passe comme si l’espace entre elles n’existait pas. Elles continuent de former un tout unique.
Biais expérimental : Quand la physique quantique est étudiée … par la physique quantique
Depuis l’expérience fondatrice du français Alain Aspect au début des années 1980 à l’Institut d’optique d’Orsay, toutes les expériences ont invariablement montré la violation des inégalités de Bell.
Or lors de ce test, les chercheurs sont obligés de faire appel à des données elles-mêmes générées par la physique quantique. Ces données permettent d’observer chacune des particules de façon aléatoire, sans que les mesures des deux particules ne soient liées. Les suites de 1 et 0 donnaient des instructions aux machines d’observation. Le hasard quantique semble cependant totalement différent du hasard classique.
Seule façon de s’en sortir : trouver un autre système pour générer ces chaines de bits aléatoires, et ce de façon non quantique.
En effet, on aura beau programmer des machines, rien n’est plus imprévisible que l’humain. C’est cette petite chose aussi bête que l’impossibilité de prévoir ce que va décider un humain lorsqu’il doit créer une suite de bits (1 et 0) de façon totalement aléatoire que n’arrivera jamais à reproduire un quelconque algorithme.
Ainsi les chercheurs ont proposé à des hommes et des femmes de devenir l’espace d’un moment des Bellsters. Ils ont produit des suites aléatoires de bits via un jeu vidéo ou une application mobile. Ses suites ont ensuite été utilisées, en temps réel, par les équipes de recherche pour déterminer l’ordre de mesure des particules quantiques intriquées dans chaque laboratoire.
30 000 participants étaient nécessaires au minimum. C’est bien 3 fois plus qui ont été impliqués à travers le monde entier.
Le jeu vidéo : The Big Bell Quest
Lors de la progression le joueur est invité à appuyer de façon aléatoire sur les touches 0 et 1 de son clavier. Le graphisme divertit le joueur, et une petite jauge d’imprévisibilité maintient son éveil. Au fil de l’avancement, le joueur découvre aussi des informations vulgarisées sur les inégalités de Bell, comment elles sont testées et quelques vidéos des laboratoires partenaires.
Pas moins de 97 millions de bits ont ainsi été générés et ont alimenté les expériences pendant 12 heures consécutives.
13 expériences réparties dans 12 laboratoires dans le monde
Au bout du compte, cette expérience confirme les précédentes : les inégalités de Bell sont violées. Mais ce coup-ci, la rigueur est de mise.
À quoi ça sert ?
L’intrication des particules est une propriété importante. Elle justifie son utilisation dans des processus comme la cryptographie quantique qui permet de coder des messages de façon sûre. Ici, pas de clé à envoyer ou de système à décoder puisque les deux parties sont intimement liées.
Sciences participatives : avenir des sciences ?
Les sciences participatives, qu’inconsciemment on relie au domaine biologique (d’observation de la nature par exemple) ont donc aussi leur place en physique fondamentale !
Pour ceux que cela intéresse, le congrès de l’Amcsti (réseau national des professionnels des cultures scientifiques, techniques et industrielles) qui se tiendra à Villeneuve d’Ascq du 2 au 4 juillet aura pour thématique Science e(s)t engagement citoyen. Tout un programme !
Pour aller plus loin :
* Rapport sur les Sciences Participatives en France (2016) réalisé par François Houllier
* Article des résultats : Challenging local realism with human randomness. The Big Bell Test Collaboration, Nature, 10 mai 2018
* Présentation du jeu en français : Big Bell Test
* Article vulgarisé : L’intrication quantique, ou le rêve de la communication instantanée par Flashcordon sur l’Agence Science Presse Québec.
* Cours La mécanique quantique pour les non-physiciens
* Charte des sciences et recherches participatives française