Organiser, catégoriser, hiérarchiser, classifier… de tout temps, l’humain met les choses dans des boîtes. Petites et détaillées, ou plus amples aux frontières floues, il y en a pour tous les goûts. Et ce, dans tous les domaines : classification des êtres vivants, des éléments chimiques, des maladies, etc.
Les arts n’ont pas échappé à cette pratique ancestrale. Aujourd’hui, même si l’on oppose volontiers les arts et les sciences, les liens sont plus courants qu’il n’y parait.
Étymologie : un sens qui lui aussi a évolué
La racine du mot art n’est autre qu’ars, artis qui signifie en latin « habileté, métier, activité qui tend à la création ». Fondamentalement, l’art est donc un moyen. Ce n’est que plus tard que sa définition évoluera vers sa finalité, le résultat obtenu : l’oeuvre.
Ce qui induit qu’au début de leur existence, les sciences étaient une discipline artistique à part entière ! Les scientifiques étaient reconnus comme des créatifs, qui repoussaient sans cesse les limites de la connaissance par leur imagination débordante.
Ce n’est qu’au XIXe siècle que la scission se matérialise. Les sciences deviennent la conception objective du monde, les arts se réinventent alors en martyr ou génie romantique.
Les philosophes ordonnent les choses : dissection des arts
Les philosophes, maîtres à penser pour le peuple, oeuvrent à ordonner le chaos pour définir les limites et clarifier les choses. Les arts sont-ils tous les mêmes ? Comment les classer ? Sur quels critères ?
Au début de ce même XIXe siècle qui a vu la séparation des arts et des sciences, Hegel (philosophe allemand) s’empare du problème. Pour le besoin de ces cours d’Esthétique ou Philosophie de l’Art, il conçoit un référentiel des arts plus élaboré. Il se base sur deux critères : l’expressivité et la matérialité. Par un système de double échelle, il classe les arts de celui qui est le plus matériel, mais le moins expressif, vers le plus expressif et par conséquent le moins matériel.
Le premier classement des arts est né :
1) l’architecture (masses pesantes et inorganiques)
2) la sculpture (corps organique, forme sans couleur)
3) la peinture (surface colorée et perspective)
4) la musique (sons inétendus, invisibles)
5) la poésie (image dans l’esprit, parole)
Plus un art utilise de matériaux (éléments concrets, tangibles sans émotions ni sentiments), plus cet art se classe au bas de l’échelle des valeurs de Hegel.
Je vous laisse le loisir d’explorer les méandres de cette réflexion par la lecture de son oeuvre Esthétique (Livre 1 et 3).
Une classification qui évolue sans être remplacée
Telle la classification des êtres vivants qui ne cesse d’évoluer au grè des découvertes, celle des arts d’Hegel s’enrichit et se modifie légèrement, mais garde sa légitimité. Ainsi, la peinture devient « Arts visuels », catégorie plus générale regroupant aussi le dessin. Et la poésie se fond sous le terme Littérature.
La création par ailleurs d’arts nouveaux, oblige la liste à s’allonger. Sans forcément faire l’objet d’études philosophiques, il s’agit de consensus souvent défendus par des personnalités de l’art auquel elles appartiennent.
Naîtront ainsi en 6e position les Arts de la scène (théâtre, danse, cirque…). Celui que vous connaissez sûrement le mieux, « le 7e art » : le cinéma a bien failli être 6e ! C’est Ricciotti Canudo, un écrivain italien qui dès 1908 défend le cinéma comme un art à part entière (Essai : Le cinéma : naissance d’un art).
En 8e position, la télévision et les arts médiatiques se sont imposés d’eux-mêmes sans que quiconque revendique la paternité de l’idée.
L’essor de la Bande Dessinée a poussé Morris et Pierre Vankeer dans le journal Spirou à publier une rubrique sur l’essor de la bande dessinée sobrement intitulée : 9e art. Certes, la BD a été inventée avant le cinéma (ne dit-on pas que les graffitis des hommes des cavernes seraient les prémisses de la BD ?) mais elle n’a eu ses lettres de que bien plus tard pour rentrer dans la classification des Beaux Arts.
La 10e place est aujourd’hui revendiquée par les Jeux vidéos.
Et la science dans tout ça ?
Tout ça pour en venir où, me direz-vous ?
Et bien que finalement, la vulgarisation/médiation des sciences est peut-être le chaînon manquant qui faisait défaut entre art et science ! Rien que ça !
Les formats de vulgarisation sont en fait, purement et simplement, des arts dont le sujet serait les sciences. Il ne s’agit pas ici de faire une liste exhaustive, mais regardons de plus près ce que nous pouvons trouver comme exemples.
1er ART : Architecture
Ah, déjà ça semble se compliquer. En réalité, pas tant que ça. L’architecture peut être le sujet même de science vulgarisée : par exemple dans le cadre de concertation citoyenne pour l’aménagement du territoire d’une commune ou les habitats participatifs (il faut en effet vulgariser les règles de construction afin que le citoyen ait les moyens d’imaginer des conceptions réalisables).
Mais l’architecture est aussi un format de vulgarisation : lors de la conception d’espace dédié à la vulgarisation. Je vous invite à découvrir le travail de Marie Métivier « L’architecture au service de la vulgarisation scientifique : Réaménagement de l’Observatoire du Pic des Fées ». Voilà comment, penser les bâtiments et l’intégration des espaces, sont à eux seuls l’investissement de l’Architecture (en temps que Beaux Arts) au service de la science.
2e ART : Sculpture
Et oui, la vulgarisation se sert aussi de sculpture. Premier exemple : les taxidermistes, qui conservent les animaux que nous voyons dans nos musées d’histoire naturelle. Ce sont des sculpteurs hors pair ! Découvrez le portrait d’Olivier Fiquet, taxidermiste sculpteur, meilleur ouvrier de France.
Et que dire de la reproduction de la grotte de Lascaux ? Pour Lascaux-4 la grotte a été modélisée dans des blocs de polystyrène par un fraisage numérique, mais ensuite chaque aspérité, creux, bosse ont été sculptés par l’Atelier des Fac-Similés du Périgord. Un travail de fourmi, de titan, du grand art.
Enfin 3ème univers remarquable, on peut citer les créations de François Delarozière qui avec ses machines reproduits les mouvements. L’étude du mouvement, sa traduction en mécanismes et autre mécanique, sont à eux seuls un programme de vulgarisation autour de la physique des mouvements !
3e ART : Arts visuels (peinture, dessin)
Rien de plus simple, je vous parlais la semaine dernière de l’équipe la Physique Autrement et bien, c’est un bon exemple de rencontre art et science dans le domaine des arts visuels.
On pourrait aussi citer les illustrations scientifiques. Elles donnent accès à n’importe quelle connaissance en facilitant son appréhension par l’image. Découvrez quelques exemples de l’art de l’illustration scientifique dans l’article du web-magazine de la bibliothèque de Lyon L’INFLUX.
4e ART : Musique
Un art complexe à mixer avec la science ? Peut-être pas.
Quelques expériences originales sont à mettre en lumière. La chaîne youtube Temporis par exemple. La musique et les sciences ne sont pas si lointaines, plongez dans les secrets mathématiques et physiques des sons et des notes. Autre projet un peu plus farfelu : créer de la musique à partir de données scientifiques récoltées. Et bien, c’est ce qu’a fait un scientifique-musicien ou musicien-scientifique du CERN (l’organisation européenne pour la recherche nucléaire) Dominique Vicinanza. Il crée la LHC Open Symphony en convertissant ses données en notes de musiques.
5e ART : Littérature
Quel plus bel exemple que la science-fiction (Jules Vernes etc.)? Elle dépasse parfois la science, la devance plus ou moins, mais plusieurs auteurs de SF vous le diront : ils ne font que regarder ce qui se passe en science pour imaginer ce qui pourrait se faire sans limites.
Par ailleurs, certains auteurs de vulgarisation choisissent ce format : Etienne Klein (L’atome au pied du mur), Christophe Galfard (L’Univers à portée de main, E=mc2 l’équation de tous les possibles, Le prince des nuages)
6e ART : Arts de la scène
On assiste à une réelle diversification des formats de médiation scientifique. Même le standup est expérimenté comme avec le Science Comedy Show (Sophie Yvon) ou le théâtre avec la pièce Tout le monde descend de Marie-Charlotte Morin (lauréate 2014 de MT180’).
La danse n’est pas oubliée, on peut citer le projet Danse avec les signes des Chemins buissonnier : un savant mélange de neurosciences, de chorégraphie lumineuse et de calligraphie en mouvement.
Quant au cirque, de rigoureuses lois de la physique se cachent derrière chaque numéro. L’Exploradôme en a même fait une exposition en 2010 : Le cirque,sort sa science.
7e ART : Cinéma
Là encore on retrouve la science-fiction bien présente, mais aussi l’univers scientifique qui fait fantasmer les hommes. Les méchants inventent des virus surpuissants dans des labos super équipés, les experts scientifiques traquent la moindre trace dans les crimes, etc. La science est aussi présente au cinéma, pas toujours véridique, parfois déformée, souvent décriée, mais présente.
Afin d’améliorer la circulation de l’information entre Hollywood et la communauté scientifique, l’académie des sciences a créé en 2008 le Science & Entertainment Exchange. Une organisation basée à Los Angeles, qui met en rapport les réalisateurs et des scientifiques (biologistes, chimistes, etc.). Les scientifiques jouent ainsi les conseillers sur les projets cinématographiques pour plus de réalisme.
8e ART : Média
Tous les différents médias sont aujourd’hui exploités : la radio (les émissions comme La tête au carré de Mathieu Vidard), la télévision (avec les premières émissions grand public comme C’est pas sorcier), youtube et ses chaînes de vulgarisation (dont une des dernières Zeste de Science du CNRS)
La photo est peut-être la moins représentée. Les laboratoires commencent tout de même à exploiter les banques de données d’images de sciences. Certains concours sont proposés autour de l’image (comme le #MoiChercheur organisé par l’agence SapienSapienS)
9e ART : BD
La plus célèbre est sans doute Marion Montaigne avec Tu mourras moins bête. Mais ce format est très tendance. On a même un développement des formations à destination des doctorants pour qu’ils mettent leur science en BD (Stimuli).
10e ART : Jeux vidéo
Là aussi, la vulgarisation a un temps d’avance : le développement de serious game scientifique ou encore l’organisation de game jam : rencontres entre doctorants et game designer (comme à Montpellier au début du mois).
Médiateur/vulgarisateur = Artiste ?
Bref comme vous avez pu le constater, être vulgarisateur, c’est surtout être un artiste de science. En effet, son travail consiste à trouver le moyen d’exprimer ses idées, ses ressentis en combinaison avec les émotions, souvent réservées au monde des arts qu’à celui des sciences. Car le partage doit être une émotion. Le format doit provoquer quelque chose chez le public. Les arts, qu’ils soient dérangeants ou fabuleux, ne laissent jamais indifférents, on aime ou on n’aime pas.
La vulgarisation est un peu pareille, on aime ou on n’aime pas tel ou tel format, mais chacun peut y trouver son compte et ce qui lui convient le mieux.
Et si le secret d’une bonne médiation, c’était les émotions ?